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Albiez-le-Jeune, un ancien village sarde qui a toute sa place dans cette chronique - (suite).

Dans le précédent épisode, j’ai évoqué ma grand-mère Eugénie Ernestine Fontanel, épouse d’Ignace Alphonse Olivier dont j’ai retracé le parcours. Je vais donc procéder de même pour elle, non pas que sa vie ait été exceptionnelle ou remarquable, mais plutôt, parce qu’elle est très représentative de celle de tous nos parents mauriennais vivant à la montagne dans la première moitié du XXe siècle.

Eugénie est née dans la maison isolée de la Tour, la toute dernière au bas du village, juste au bord du précipice du Merderel. Là vivaient son père, Jean-Baptiste Fontanel, né en 1856 (donc Sarde !), sa mère, Honorine Gravier, native de Charvin à Fontcouverte. Le couple donna naissance à une première fille en 1889, Marie Catherine qui ne vécut que 13 jours, puis à Germain en 1890, à Jean François en 1892, à Marie Françoise (la petite Marie) en 1895 et enfin à mon aïeule Eugénie en 1897.

À cette époque, la plupart des villages de montagne connurent une forte émigration due aux maigres ressources des familles. Les Fontanel de la Tour n’y échappèrent pas. Germain s’enrôla dans l’armée où il perdit la vie au Maroc, en 1912 au cours de la guerre dite de pacification. Marie Françoise épousa Henri Ducruez qui fut cheminot au PLM à Lyon. Jean François s’installa à Saint-Étienne où la Manufacture des Armes et Cycles (Manufrance, créée en 1887) lui procura un emploi stable.

Depuis son plus jeune âge, ma grand-mère, ainsi que la plupart des enfants du village, se partageait entre l’école et le travail dans l’exploitation familiale pour aider les parents. Elle m’a souvent conté le trajet quotidien, à pied, de la Tour au Chef-lieu d’où elle ne rentrait à la maison que le soir.  On imagine que les revenus de cette famille étaient très limités puis qu’Eugénie devait se placer comme bergère l’été, au sommet de Valloire, à Bonnenuit.

J’ignore comment elle a rencontré mon grand-père Ignace, tout juste rentré de ses longues années passées sous les drapeaux. Ils se marièrent en 1920 et donnèrent naissance à leur fille unique Germaine (ma maman) en 1922.

Au début de leur union, ils vécurent avec les parents Olivier dans leur maison de Carlon (vendue vers 1955 à Calixte Chapel). Puis, vraisemblablement, lorsqu’Ignace devint cantonnier, ils acquirent les maisons qui furent les nôtres jusqu’en 2023, au chef-lieu, près de l’ancien hôtel l’Escale. Commence pour eux une vie de doubles actifs (comme bien d’autres Albiens employés à l’usine d’aluminium de Saint-Jean, la Camargue, depuis son implantation en 1892).

Ayant vécu avec eux dans les années 1950, mes souvenirs restent précis quant aux conditions de vie qu’ils avaient toujours connues. Sur la route où travaillait Ignace, pas de mécanisation, simplement une pelle, une pioche, un râteau, une faux et une brouette. Il en était de même aux champs ou pour le déneigement. Si le rôle de ma grand-mère était plus discret, il n’en était pas moins harassant. Il lui fallait soigner les bêtes, désherber le jardin, faire les foins, arracher les patates et s’occuper du petit (moi). C’était aussi une bergère, comme les autres femmes du village qui prenaient en charge à tour de rôle, le troupeau commun d’Albiez pour le conduire sur les Uilles. Elle en prendra la responsabilité jusqu’à ce qu’un jour, à la sortie de l’hivernage, lors d’un combat de reines, elle se fit encorner par une vache belliqueuse qu’elle avait voulu écarter du troupeau. Grièvement blessée. Elle ne dut son salut qu’à l’intervention rapide d’un Albien travaillant à proximité, Gabriel Sallière, alerté par ses cris.

 

Jean-Michel Reynaud